Rechercher dans ce blog

mardi 30 septembre 2014

2014-09-30 Proposition de loi sur le sport pro : une loi d'opportunité à contre temps ?

Le Sénateur Michel SAVIN, ancien Président de la Mission Commune d'Information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales, mission ayant donné lieu au rapport de Stéphane MAZARS (ancien suppléant d'Anne-Marie Escoffier au Sénat) « Sport professionnel et collectivités territoriales : l'heure des transferts ? », a déposé la semaine dernière une proposition de loi visant à rénover les rapports entre les collectivités territoriales et les clubs professionnels et à moderniser le modèle économique du sport professionnel (n°711, Sénat).

Cette proposition de loi porte sur la suppression des subventions et des achats de prestations de services.

1    - La suppression des subventions

La disposition vise à supprimer les subventions pour les clubs professionnels qui perçoivent plus de 10 millions d'euros par saison au titre des droits d'exploitation audiovisuelle. Ce seuil ne vise que la Ligue 1 ainsi qu'il est d'ailleurs clairement indiqué dans l'exposé des motifs (On observera que cette interdiction ne concerne pas les clubs professionnels autres que ceux de la Ligue 1 de football, à savoir, notamment, les clubs de Ligue 2 de football et les clubs du TOP 14 de rugby qui tous reçoivent moins de 10 millions d'euros par saison au titre des droits audiovisuels)..
Dans le même temps la proposition de loi prévoit que les collectivités territoriales pourront aider les fonds de dotation des clubs en contrepartie d'actions d'intérêt général et éducatives, ce qui n'était pas possible aujourd'hui compte tenu de la loi de 2008 de modernisation de l'économie (dont l'article 140 est à cet effet modifié).

Il convient de rappeler que dans le dispositif actuel de l'article L.113-2 du code du sport les subventions sont réservées aux missions d'intérêt général des associations sportives ou sociétés sportives. L'objet des subventions est ainsi d'ores et déjà encadré.

La proposition vise, pour les clubs professionnels recevant plus de 10 M€ de droits TV à en outre encadrer le bénéficiaire en imposant qu'il s'agisse d'une fondation créée par l'association sportive La création de cette fondation est d'ailleurs imposées pour les associations sportives ayant créé une société sportive. Si l'objet était, pour les clubs professionnels percevant plus de 10 M€ de droits TV, de réserver les subventions aux fondations à l'exclusion de l'association ou de la société, la rédaction proposée n'y parvient pas. Parce qu'en ajoutant le membre de phrase « à l'exception de celles qui perçoivent plus de dix millions d'euros par saison au titre des droits d'exploitation audiovisuelle », la loi ne vise que la société sportive et pas l'association (seule la première perçoit les droits TV). L'imprécision de la proposition priverait d'ailleurs, en cas d'adoption en l'état, la loi de l'effet escompté : à plusieurs reprises la proposition formule l'interdiction en visant les « associations sportives ayant créé des sociétés sportives » et donc seulement les associations mais pas directement les sociétés !


Sous cette réserve on ne peut que souscrire à l'idée de permettre de verser les subventions non pas aux sociétés sportives mais à des fondations pour des missions d'intérêt général.

Nous avions fait cette proposition déjà en 2007 (cf Projet de loi de finances pour 2008 : Sport, jeunesse et vie associative 22 novembre 2007 : rapport de . Bernard MURAT et Pierre MARTIN au nom de la commission des affaires culturelles  cf note 29) . Mais nous proposions alors d'imposer un soutien conjoint des collectivités et des partenaires de la fondation.
Enfin imaginer qu'un tel seuil mettrait fin aux subventions aux clubs professionnels principalement de football (parce que toute la L1 est visée) relève de l'illusion. Il est évident que des stratégies de « contournement » pourraient être mises en place à travers un appel d'offres de la Ligue prévoyant un montant de droit TV permettant de rester en-deçà du seuil en prévoyant :
(i)    d'une part l'obligation pour les diffuseurs de supporter les coûts afférents aux espaces qu'ils occupent dans les Stades à l'occasion des retransmissions ;
(ii)    d'autre part la possibilité pour les diffuseurs de s'engager dans des démarches de sponsoring.
La Ligue pourrait également de pas distribuer les droits TV sous forme de « répartition » mais prévoir une prime de classement facialement non liée aux droits TV.

Et le remède pourrait s'avérer pire que le mal puisque les sommes reviendraient alors aux clubs les mieux classés et les plus diffusés à domicile aux dépens de la solidarité qui aujourd'hui existe en partie dans la répartition des droits TV.

L'écart entre les « petits » et les « grands » clubs professionnels se creusera. Mais on respire parce que le petit club qui sera relégué pourra à nouveau percevoir des subventions. En fait seules les collectivités ne respirent pas parce que faire de la prévision budgétaire quand on sera amené à verser des subventions en fonction de l'évolution du club en Ligue 1 ou en Ligue 2 ...


2    - La suppression des prestations de services.

La proposition de loi supprime purement et simplement la possibilité d'achat de prestations de services aux clubs sportifs qui perçoivent également plus de 10 millions d'euros par saison au titre de droits d'exploitation audiovisuelle.

A l'inverse de la précédente disposition celle ci nous semble totalement à contre courant pour 2 raisons :
D'abord parce que les auteurs de la proposition de loi encouragent la construction des stades par les clubs avec des garanties publiques et des subventions (limitées à 50%).
Nous souscrivons totalement à cette proposition nous qui proposons depuis plusieurs années un modèle privé public. Un modèle dans lequel les collectivités à travers des garanties mais aussi l'achat de prestations de services sur le long terme viendrait solidifier le montage financier du club.

cf 2013-03-05 Modernisation du sport : notre contribution au débat, IV les collectivités territoriales nos propositions faites en 2011 lors du vote de la Loi Depierre sur l'Euro 2016 (cf notre article Grands équipements sportifs : football 1 - autres sports 0 )

Ensuite comment peut-on imaginer qu'une collectivité accorde d'un coté plusieurs dizaines de millions d'euros à un club sans de l'autre pouvoir s'afficher aux cotés du club ? Et comment peut-on concevoir d'un côté la possibilité de verser des subventions et d'apporter des garanties au financement des stades par les clubs en interdisant de l'autre les subventions à ces clubs ?

Notre proposition est totalement inverse.

Elle vise au contraire à déplafonner, dans son montant et sa durée, l'achat de prestations de services pour permettre aux collectivités de s'associer pleinement à l'image d'un club mais aussi, dans notre vision d'un modèle privé public, pour permettre aux collectivités de garantir, à travers un engagement d'achat sur le long terme, les opération d'initiatives privées. Un tel engagement de long terme pourrait opportunément faire l'objet d'une cession de créance acceptée afin de garantir les banques qui seraient sollicitées pour financer les stades « privés ».

Cf sur la suppression du seuil de 1,6 M€ pour les prestations de services notre édito 2013-03-19 Modernisation du sport , notre contribution au débat VI : les moyens et le personnel


3    - Interdire les contrats de partenariat pour les enceintes sportives destinées à être utilisées par un club sportif

Outre le fait que cette proposition arrive après la bataille de l'Euro 2016, elle mériterait aujourd'hui d'être économiquement étayée. En effet il aurait été intéressant que dans leur rapport les sénateurs Savin et Mazars démontrent effectivement que réaliser un stade en PPP coûterait plus cher que le réaliser en loi MOP. Une telle démonstration supposerait de comparer ce qui est comparable, c'est à dire de prendre en compte, d'un côté, les coûts d'entretien et de maintenance et les coûts de GER (gros entretiens et renouvellement ) que la collectivité devra consacrer sur la durée au stade ou à l'Arena et, de l'autre côté ;les recettes qu'un opérateur privé peut garantir dans un contrat de partenariat.
Pour notre part et sur la base de notre expérience des grands équipements sportifs nous avons acquis aujourd'hui la conviction que le PPP peut être un bon montage dès lors que le partenaire supporte un risque sur les recettes : naming, évènements hors matchs, programme i mmobilier... D'ailleurs si on doit juger de l'aptitude des différents schémas à répondre aux enjeux, on notera qu'aujourd'hui les stades de l'EURO2016 réalisés en PPP sont livrés dans les temps. Et on rappellera que dans l'engagement pris à l'égard de l'UEFA il fallait que les stades soient livrés à l'été 2014 ou au plus tard en juin 2015.

Au-delà d'une démonstration de pertinence économique (qui fait défaut), la conformité à la Constitution d'une telle interdiction interroge évidemment. Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois validé les dispositions législatives relatives au contrat de partenariat. Dans sa décision de juillet 2008 il a validé le critère de l'efficience économique « dans l'intérêt du bon emploi des deniers publics ». Parce qu'il est bien dans cet intérêt que si l'efficience du contrat de partenariat est avérée les personnes publiques puissent y recourir. Et interdire ce recours « dans l'intérêt du bon emploi des deniers publics » soulève à l'évidence un problème de conformité au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales (article 72 de la Constitution).

Par contre pour rendre service aux collectivités qu'il s'agit de celles ayant réalisé leur stade en contrat de partenariat ou en loi MOP les sénateurs auraient été bien inspirés de rédiger un article sur les redevances des clubs. (2014-07-08 Stades des clubs pros : les collectivités propriétaires prises en otage ?) pour obliger les clubs à payer les stades au vrai prix. Il convient d'ailleurs de noter que la France avait pris un engagement en ce sens devant la Commission Européenne dans le cadre de l'instruction du régime des aides à la construction et à la rénovation de stades en vue de l'EURO 2016 (Décision de la Commission du 18 décembre 2013 / Aide d'Etat SA.35501 - France - Financement de la construction et de la rénovation des stades pour l'EURO 2016 ). La proposition de loi aurait utilement pu prévoir les modalités de mise en œuvre de cet engagement : obligation de saisine de France Domaine, délai de réponse de France Domaine ...


Quant à la proposition qui consiste à permettre aux collectivités ayant réalisé un stade en contrat de partenariat de le céder au club, elle est mieux juridiquement inutile et économiquement irréaliste. Juridiquement inutile parce qu'il n'est nul besoin d'une loi pour permettre à une collectivité de résilier un contrat de partenariat et céder ensuite l'immeuble. Economiquement irréaliste parce que le coût de résiliation d'un tel contrat pourrait s'avérer rédhibitoire et la loi ne pourrait le réduire sans porter atteinte au droit de propriété qui, dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, s'étend aux créances contractuelles.

Enfin et c'est le problème de fond, faire porter le risque de l'équipement sportif aux clubs et à ses actionnaires est tout à fait louable mais impose de changer de modèle et de passer en ligue fermée ou semi fermée. Sans quoi il est difficile d'imaginer que des investisseurs et surtout des banques financent des stades sans avoir la certitude que le club résident évoluera durablement au plus haut niveau, ce qui constitue la garantie essentielle de remboursement des fonds propres (pour les investisseurs) et surtout de la dette (pour les banques) ! Quel niveau de garanties privées (actionnaires) et publiques (au moyen d'une loi de circonstance) a été nécessaire pour boucler le financement du Grand Stade de l'OL ? Quelle autre conjonction d'engagements privé et public a existé, existe ou existera en France ? Ce qui fut possible à Lyon est un cas historiquement isolé et probablement non transposable.

Au final, cette proposition de loi, qui relève de la précipitation dans sa rédaction qui n'a associé aucun des acteurs du sport et de l'idéologie dans la mise à l'index des sports professionnels les plus exposés et des PPP,arrive après la bataille. Certes elle trouve une certaine résonnance car tout ce qui touche au sport pro et au foot en particulier ou encore aux PPP fait parler. Mais il aurait été préférable d'avoir ces réflexions avant l'euro 2016.

Nous dénoncions déjà à l'époque le manque de vision sur le long terme Mais nous ne pouvons nous satisfaire d'une proposition qui repose davantage sur des poncifs idéologiques (sus au football professionnel, sus aux PPP) que sur une réflexion approfondie associant l'ensemble des acteurs du sport.

2011-03-15 Loi Euro 2016 : "une occasion à ne pas manquer"
2011-04-19 Euro 2106 : une loi d'exception et d'expérimentation, mais une occasion manquée pour les grandes enceintes sportives

2011-06-07 Après la publication de la loi Euro 2016, le député Depierre se pose enfin les bonnes questions

mardi 16 septembre 2014

2014-09-16 CREPS : la tentation de la patate chaude

Faut il décentraliser les CREPS à la sauvette par un simple amendement sans redéfinir clairement les rôles et moyens de tous les acteurs du sport et enclencher de nouvelles synergies entre eux ? C'est en substance la question que posent aujourd'hui les directeurs des sports des régions qui ont d'ailleurs eu l'occasion d'échanger sur le sujet avec leurs collègues de la direction des sports du ministère.
Nous avons pu nous entretenir avec Jean Luc Garde directeur des sports de la Région Rhône-Alpes et coordinateur technique de la commission sport au sein de l'ARF sur ce sujet.

Deux points de vue pour une vision partagée.

Coté Ministère, le transfert des CREPS aux Régions apparaît comme la meilleure solution pour maintenir l'ensemble des établissements dans le système sportif français. Vu du ministère, l'équation est simple :, le ministère n'a plus les moyens financiers de conserver en l'état ce réseau dans son giron (risque potentiel de fermeture d'établissements comme en 2009/2010) mais continuera ainsi à animer le réseau au travers des missions nationales que conservera chaque établissement (notamment le SHN) et auxquelles les Régions apporteront une contribution essentielle. Et d'espérer que les régions apportent une vraie plus value au-delà de la seule gestion des bâtiments comme c'est le cas pour les EPLE.

Coté Régions l'équation est plus complexe. Pour les techniciens et certains élus, même si l'idée ne soulève pas d'enthousiasme débordant, "à la limite le transfert des CREPS pourrait être accepté dans la logique des compétences régionales actuelles en matière de formation, et d'aménagement du territoire et sera finalement un peu « noyé » au milieu d'autres nouvelles compétences" souligne Jean Luc Garde. « Comme nos collègues du MJS, nous espérons que les Régions saisiront cette opportunité pour asseoir leur propre politique sportive et l'ensemble des politiques sportives publiques ; mais nous redoutons que cet espoir se heurte à des réalités incontournables »

Pour les techniciens des régions, le risque est, en effet, moins dans un manque de volonté que dans les difficultés de mise en œuvre de ce transfert.

D'abord il y a fort à parier que les CREPS seront gérés par les Directions du Patrimoine et des Ressources Humaines des Régions sans réelle implication dans le sport. Les CREPS deviendront plus un outil au service des politiques régionales la formation notamment que le développement du sport en général et du Haut niveau en particulier.
« On peut également s'attendre à ce que les régions cherchent d'un coté à optimiser les recettes des CREPS (notamment hébergement et locations) puisqu'ils sont directement liés à leur compétence en terme de bâtiments et de personnels techniques et de l'autre à se décharger des secteurs qui ne sont que des postes de dépenses, notamment le SHN, pour lequel la Loi ne leur donne aucune compétence. Elles n'auront ni la volonté ni surtout les moyens d'accompagner le transfert des murs et des personnels techniques par des initiatives de contenu comme elles l'avaient fait lors du transfert des EPLE.» prédit Jean Luc Garde.

Sans compétence pas de décentralisation des CREPS

Car le risque est bien là : l'absence de compétences sport dans un contexte où la réforme territoriale va vraisemblablement accroître fortement le champ des compétences obligatoires voire exclusives des Régions (routes, collèges, économie,...). Même si des ressources fiscales équivalentes leur sont transférées (ça reste à voir !) les Régions seront dans l'obligation « mathématique » de réduire drastiquement leurs dépenses sur les compétences « optionnelles »... dont le sport. Le budget sport des régions ira sur les dépenses obligatoires : les équipements sportifs des lycées voire des collèges selon le maintien ou non des départements. Quant aux départements, ils ont déjà engagé une baisse des subventions au mouvement sportif départemental.

Alors qu'en 2012 la réforme territoriale était plus évasive sur la répartition des compétences et prévoyait que les conférences territoriales de l'action publique apporteraient les précisions nécessaires. On pouvait donc espérer, notamment au vu des travaux des commissions du CNS, que la généralisation de Conférences Territoriales dédiées au sport permettrait une répartition claire et cohérente des rôles et que, dès lors, les CREPS conféreraient automatiquement aux Régions un rôle de chef de file en la matière.

« Aujourd'hui, comment imaginer une décentralisation des CREPS en dehors de toute clarification de la gouvernance du sport français, des compétences et ressources de ses acteurs et en « marge » d'une réforme territoriale qui ne dit rien sur les obligations ou réelles possibilités des Régions en matière de politique sportive ? » questionne Jean Luc Garde.

Le financement du mouvement sportif menacé.

Penser que la réforme territoriale, la décentralisation des CREPS et finalement l'affaiblissement du ministère des sports donnera plus de poids au mouvement sportif qui se positionnera comme le coordonnateur entre le national et le local est très risqué.
Le recentrage des financements régionaux sur les compétences obligatoires et l'extinction progressive des crédits sportifs des départements va considérablement réduire le financement des échelons locaux du mouvement sportif selon les directeurs des sports des Régions.

Dans une construction sans compétences et sans chefs de files, le financement des collectivités territoriales profitera, hors compétences obligatoires, et pour ce qu'il reste de moyens, aux politiques sportives volontaristes qui risquent fort d'être orientées exclusivement vers le mouvement sportif local (notamment pour pallier le désengagement des départements) ou vers le sport professionnel dont les grands clubs véhiculent l'identité locale beaucoup plus clairement et surement que les structures du Parcours d'excellence sportive, souvent peu connues.


Dans ce contexte, les techniciens de l'Etat et des Régions s'accordent sur le fait que les CREPS méritent mieux que d'apparaître comme une « patate chaude » et suggèrent que :
- Soit le texte de décentralisation précise mieux les obligations et ressources des Régions et du bloc communal en matière de politique sportive ;
- Soit il renvoie cet exercice à des textes d'applications qui découleront de négociations entre les acteurs ou de l'instauration obligatoire de Conférence Territoriales du Sport

Nous souscrivons totalement à cette analyse. Les CREPS, le haut niveau et plus globalement la gouvernance du sport en France mérite mieux qu'un amendement.